D. Varaschin u. . (Hrsg.): Histoire économique et sociale de la Savoie

Cover
Titel
Histoire économique et sociale de la Savoie de 1860 à nos jours.


Herausgeber
Varaschin, Denis; Hubert, Bonin; Yves, Bouvier
Erschienen
Genève 2014: Librairie Droz S.A.
Anzahl Seiten
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre-Yves Donzé, Graduate School of Economics / Hakubi Center, Kyoto University

Il est souvent difficile de tirer des généralisations de monographies régionales qui permettent leur usage dans une perspective comparative. L’ancrage, très localisé, ainsi qu’une approche encyclopédique et descriptive sont souvent des obstacles qui limitent grandement l’impact de ce genre de publications sur la recherche. Si l’histoire économique de la Savoie présentée ici n’échappe pas totalement à cet écueil, il faut souligner la grande qualité de la plupart de ses chapitres. Elle intéressera à n’en pas douter les historiens suisses de l’économie et de la société.

L’ouvrage comprend une dizaine de chapitres, rédigés par des historiens de la région ou actifs ailleurs en France, et aborde les multiples aspects de l’économie savoyarde: commerce international et zones franches, banques, industrie en général, industrie des sports d’hiver, tourisme, transports, énergie, patronat et enseignement professionnel. On peut toutefois regretter l’absence d’un chapitre introductif qui présenterait l’évolution macro-économique de la région, afin de poser un cadre d’analyse général. Les contributions sont très inégales en qualité et longueur, et il n’est pas possible de toutes les présenter dans le cadre de ce compte-rendu. Limitons-nous à trois chapitres de qualité susceptibles d’intéresser le lecteur suisse.

Tout d’abord, dans un long chapitre consacré aux banques savoyardes (pp. 81–192), Hubert Bonin analyse l’impact des banques et de la finance locale sur le soutien à l’industrie naissante. Il met parfaitement en évidence l’absence de grandes banques durant la seconde partie du 19e siècle et la domination du modèle de la petite banque locale, «au coeur d’une mini-communauté d’affaires» (p. 91). Au début du 20e siècle apparaissent des premières banques régionales, notamment la Banque de Savoie et Laydernier, qui croissent entre autres par la reprise de banques locales. Ces établissements bancaires sont proches de l’industrie régionale qu’ils approvisionnent en capitaux. Ils comprennent des entrepreneurs dans leurs conseils d’administration et investissent directement dans certaines firmes. Selon Bonin, ces banques auraient contribué à l’essor des districts industriels, comme cela s’observe ailleurs en France et en Espagne. Le grand choc sur ce système bancaire régional a lieu au cours des Trente Glorieuses, avec l’arrivée en Savoie de grandes entreprises industrielles externes à la région, qui ne recourent que peu aux banques régionales et traitent leurs opérations de crédit à Paris, ainsi que des groupes financiers parisiens (BNP, Crédit lyonnais, etc.) moins intégrés dans l’industrie locale.

Ensuite, le chapitre que consacre Régis Boulat aux fabricants de matériels de sports d’hiver (pp. 299–317) met en lumière les conditions de création des entreprises Salomon et Rossignol. Le développement du tourisme de masse permet en effet à ces deux entreprises familiales artisanales, fondées respectivement au milieu des années 1900 et en 1947, de se lancer dans la production industrielle. Le rapport au territoire alpin est très fort jusque dans les années 1960. Par la suite, ces deux sociétés se lancent dans un processus de diversification de leur production et d’internationalisation, si bien que le lien avec le territoire savoyard tend à disparaître. Elles sont devenues des entreprises compétitives sur le marché global et la cible d’investisseurs. Salomon est repris par Adidas (1997) puis Amer Sports (2005) et Rossignol par Quicksilver (2005), puis par une société d’investissement (2008). A travers cet exemple, Boulat offre une réflexion stimulante sur la capacité d’entreprises ancrées dans des territoires localisés à s’imposer comme des entreprises multinationales.

Enfin, le cas du tourisme, abordé par Julien Coppier, présente un modèle de développement similaire à celui qui s’observe en Suisse (pp. 457–482). A la décou verte des Alpes par des aristocrates britanniques (1750–1850) succède une phase de mise en place d’une infrastructure industrielle pour soutenir le tourisme, tels que transports, hôtels, guides (1850–1900). L’essor des sports d’hiver s’observe durant les premières décennies du 20e siècle et l’organisation des premiers Jeux Olympiques d’hiver à Chamonix en 1924, mis sur pied à l’initiative de deux parlementaires savoyards, apparaît comme une étape importante dans ce processus. C’est aussi durant ces années que Megève émerge comme un lieu de rencontre important de l’aristocratie européenne, la baronne Noémie de Rothschild n’appréciant pas la présence de ressortissants allemands dans les stations suisses durant la Première guerre mondiale et choisissant ce village des Alpes françaises pour en faire son lieu de villégiature (p. 475). Après 1950, le tourisme de masse fait son apparition, soutenu par de lourds investissements qui transforment en profondeur la montagne, avec l’apparition ex nihilo de nouveaux domaines (Courchevel, Méribel, Val d’Isère).

Que retenir de cet ouvrage? D’abord, il faut souligner que cette synthèse offre un regard varié et de qualité sur l’économie savoyarde depuis 1860. Une question intéressante que pose ce livre est celui des liens possibles entre les spécificités d’une région et la capacité de ses entreprises à devenir concurrentielles sur le marché mondial. Elle n’est pas abordée frontalement, mais reste comme une interrogation majeure lorsque le lecteur referme l’ouvrage. Quel est l’avantage comparatif de la Savoie? Quelles sont les ressources locales qui ont permis à desentreprises savoyardes de s’imposer dans certaines industries? Dans l’excellente synthèse qu’il dresse dans la conclusion générale, Hubert Bonin affirme qu’«identifier un ‹capitalisme savoyard› […] reste délicat» (p. 613). Malgré l’esprit d’entreprise et le développement industriel qui s’observent à l’échelle locale, il reste difficile d’observer une dynamique propre à la région, la Savoie étant en fin de compte dominée par la juxtaposition de «mini-systèmes productifs locaux» (p. 614). Et c’est sans doute au sein de ces territoires locaux, beaucoup plus qu’à l’échelle de la région, qu’il faut chercher les sources du développement industriel et économique de la Savoie.

Zitierweise:
Pierre-Yves Donzé: Rezension zu: Denis Varaschin, Hubert Bonin et Yves Bouvier (dir.), Histoire économique et sociale de la Savoie de 1860 à nos jours, Genève: Droz, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 506-508.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 506-508.

Weitere Informationen